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Utiliser le perfectionnisme à bon escient en entrepreneuriat
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par Blandine Cain
Le perfectionnisme est un peu la tarte à la crème des entretiens d’embauche : on le cite à la fois comme une qualité et un défaut. C’est une caractéristique à double tranchant qui montre qu’on est exigeant envers soi-même et en même temps, potentiellement psychorigide.
D’ailleurs, qui ne se dit pas perfectionniste ? C’est un qualificatif valorisant, puisqu’on lit en creux que ceux qui ne le sont pas sont je-m’en-foutiste, voire médiocres ; ce qui génère, de fait, une injonction à en être.
En quoi le perfectionnisme serait-il dangereux pour un entrepreneur ? Il ne le devient que s’il est utilisé à mauvais escient, ou pour de mauvaises raisons. En effet, le perfectionnisme a plusieurs causes majeures : certaines sont justifiées quand d’autres sont dangereuses.
Commençons par… celles qui sont dangereuses, avant de parler du « bon » perfectionnisme.
Les mauvaises raisons du perfectionnisme
Syndrôme de l’imposteur
Imaginons que vous avez été salarié pendant quelques décennies et qu’un jour, vous vous décidez à vous lancer dans une aventure entrepreneuriale.
Vous avez beau maîtriser votre métier à la perfection, il est probable que vous soyez désarçonné par certains sujets que vous connaissez moins dans des domaines plus éloignés de votre activité principale (comptabilité, démarches administratives, dossiers de financement, interaction avec des structures institutionnelles, prospection commerciale, négociations fournisseurs…). Bref, qui que vous soyez, il y a fort à parier que vous ne soyez pas à l’aise sur au moins l’un des aspects que vous devrez gérer en tant que chef d’entreprise.
Dès lors, vous allez douter. Vous prendre des murs. Vous remettre en question. Envisager de tout arrêter. Lire des newsletters. Écouter des podcasts. Vous former. Demander conseil. Suivre de mauvais conseils. Douter de nouveau. Vous prendre d’autres murs. Et ainsi de suite.
Je préfère vous prévenir tout de suite : ça ne s’arrêtera jamais, quelle que soit votre expérience et votre professionnalisme, et c’est normal et même très sain. Eh oui, le monde change perpétuellement et les règles d’hier ne seront pas celles de demain ! Il s’agit de ne pas pour autant finir paralysé par le doute : c’est en avançant, en commettant des erreurs, qu’on construit et qu’on apprend.
Procrastination
Vous commettrez nécessairement des erreurs, il est impossible de toutes les éviter. Cela ne doit pas vous empêcher de croire en votre projet et en votre capacité à le mener à bien.
Le risque, si vous doutez trop de votre légitimité au moment de créer votre entreprise, est double :
- Votre posture ne sera pas la bonne ; en tant qu’entrepreneur vous devez dégager de la sérénité et inspirer confiance, au risque d’attirer les mauvaises personnes (escrocs, manipulateurs, personnes toxiques…) et de détourner celles qui vous sentiront fragile.
Cela peut vous amener à écumer toutes les formations qui existent sur le marché, à suivre toutes les masterclasses disponibles, à essayer d’appliquer chaque méthode, à relire chaque page de votre site Internet 200 fois avant de le mettre en ligne, à hésiter tellement longtemps entre deux locaux que plus aucun ne sera disponible au moment où vous vous déciderez enfin… Si vous tombiez dans Elle sur le test « Suis-je faite pour ce métier ? », vous vous jetteriez dessus pour enfin savoir si vous avez bien fait de vous lancer ; même une fois votre boutique ouverte ou votre activité débutée, vous communiquerez avec parcimonie, presque en vous excusant. Vous voyez le mécanisme ? Vous ne vous faites pas confiance et surtout, vous le criez au monde : « Je suis nul ! Surtout ne faites pas appel à mes services ! ».
Maintenant qu’on vous le dit, évidemment, vous voyez bien ce qui cloche : jetez-vous du bord de la falaise (au sens figuré, entendons-nous bien !) et allez-y franco, donnez tout ! Il n’y a que de cette manière que votre entreprise aura des chances de décoller. Une attitude attentiste ou timorée n’est pas compatible avec le lancement d’une entreprise.
- Vous retarderez perpétuellement le moment de vous lancer « vraiment » et votre temporalité deviendra incompatible avec vos contraintes extérieures.
Vous savez pourtant que votre indemnisation chômage est terminée, mais vous ne vous sentez pas encore prêt à démarrer votre activité. À force d’attendre, c’est trop tard, le train est passé. Vous n’avez plus qu’à chercher un nouveau poste salarié. À force de vouloir trop bien faire, vous êtes incapable d’agir et vous tuez donc votre projet dans l’œuf avant de lui avoir donné la moindre chance d’aboutir.
Peur de l’échec
Enfin, la peur de l’échec a un effet absolument mortifère : si vous doutez, vous ne vous donnerez pas pleinement dans votre activité. Vous aurez beau vous agiter, remplir votre agenda, répéter à qui veut l’entendre que vous êtes absolument DÉ-BOR-DÉ, vous vous détournerez inconsciemment des tâches vraiment importantes et vous vous étourdirez par des tâches secondaires et parfois franchement futiles.
Tout ça parce que vous serez déjà à moitié convaincu que ça ne marchera pas : l’Homme est ainsi fait qu’il ne veut pas investir de temps et d’énergie dans des projets sans avenir ; il préfère dans ce cas se tourner vers le divertissement, dont la gratification est plus immédiate. Par exemple, si vous êtes censé travailler sur votre dossier de financement aujourd’hui, mais que vous êtes plutôt tenté de faire un live sur Instagram, rappelez-vous que c’est logique : vous n’aurez la réponse de votre banque que dans plusieurs semaines et elle pourrait être négative, alors que les likes tomberont dans les minutes qui suivront votre publication. Récompense immédiate, mais sans aucune valeur réelle (sauf si les réseaux sociaux constituent pour vous un véritable canal de prospection). En tout cas, pendant ce temps, votre dossier de financement n’aura pas avancé d’un pouce. C’est ce qu’on appelle, reculer pour mieux sauter.
DONC : si vous n’êtes pas intimement convaincu par votre propre projet, si vous anticipez déjà son échec potentiel, votre petit cerveau et tous ses mécanismes hyper élaborés vont tout faire pour vous dissuader de consacrer trop d’efforts à votre projet, en tout cas sur les tâches les plus ardues : vous ressentirez des bouffées d’angoisse, du stress, de la fatigue, de la lassitude… Tout ça parce que vous ne vous faites pas suffisamment confiance pour mener à bien cette aventure. Quand les coachs parlent de mindset, ils parlent précisément de ça : selon les pensées intérieures que vous entretiendrez, vous ferez de vous-même votre meilleur allié ou votre pire ennemi.
Objectifs irréalistes
Viser la perfection, c’est à coup sûr échouer : la perfection n’existe pas. Quelle que soit votre activité, vos produits ou vos services ne sont jamais parfaits. La barre de chocolat dans le pain au chocolat n’est jamais parfaitement centrée ; on n’en veut pas pour autant au boulanger. On attend avant tout que le pain au chocolat tienne ses promesses : que son aspect, son goût, sa consistance, soient en accord avec son prix, le service qui l’accompagne, le décor et la propreté de la boutique…
Imaginons que vous avez lancé votre activité de conseil. Vous vous apercevez rapidement que vous travaillez deux fois plus longtemps sur chaque dossier client que ce que vous facturez, parce que vous jugez que dans le cas contraire, le livrable ne sera pas impeccable. Ce mode de fonctionnement a un coût immense, puisqu’il divise votre potentiel de rémunération par deux. De trois choses, l’une : soit vous en faites trop ou de manière pas assez efficace (compétences ? organisation ? perfectionnisme ??), soit vous ne vendez pas vos prestations assez chères, soit l’analyse de votre marché a été bâclée et les attentes de vos clients ne correspondent pas à votre offre. Dans tous les cas, votre activité n’est pas pérenne, car vous sciez littéralement la branche sur laquelle vous êtes assis.
« Mieux vaut fait que parfait » : le mantra d’Aline, la fondatrice de The BBoost dont j’aime suivre les épisodes du podcast « J’peux pas, j’ai business », résume bien les limites à poser au perfectionnisme. La surqualité invisible vous épuise inutilement, il faut lutter contre elle.
Si vous êtes dans l’une de ces situations, il faut changer de braquet. Et vite. Facile à dire, moins à faire… mais peut-être que la seconde partie vous donnera quelques pistes.
Les bonnes raisons du perfectionnisme
Je ne vais pas ici vous abreuver de méthodes pour hacker votre perfectionnisme et en faire une force. À vrai dire, je ne crois pas qu’il y ait de méthode idéale, sinon d’avancer un pas après l’autre en étant structuré et rigoureux et en plaçant, surtout, le curseur au bon endroit. Je vais donc revenir aux sujets qui, selon moi, justifient de faire preuve de perfectionnisme, quelle que soit votre activité. Ces sujets, dictés par le bon sens, sont souvent noyés au milieu de concepts fumeux.
Attendus minimaux
Vous êtes couturière. Une cliente vous demande de réaliser un ourlet sur un pantalon. Vous lui annoncez qu’il serait prêt pour le samedi suivant.
Le samedi suivant, comme convenu, la cliente arrive. Vous lui expliquez en vous excusant que vous avez eu plusieurs urgences : vous n’avez pas pu faire son ourlet. Elle n’est pas contente, elle s’énerve. Vous lui expliquez que cette situation n’est pas de votre fait, vous êtes vous aussi agacée : vous avez passé votre semaine à courir, vous avez fait de votre mieux.
À votre avis, votre attitude est-elle la bonne ?
Vous excuser en expliquant à votre cliente que vous avez eu des urgences ne suffit pas : en quoi d’autres commandes seraient-elles plus urgentes que la sienne ? Mais surtout, pourquoi ne pas l’avoir prévenue en amont pour lui éviter de se déplacer pour rien ?
Dans ce cas précis, vous n’avez pas mis tous les moyens en œuvre pour assurer une prestation de qualité : elle n’a pas été rendue dans les délais et vous n’avez pas informé votre cliente en amont. Votre cliente considère désormais que vous n’êtes pas fiable. Et il se trouve que la fiabilité est une qualité de plus en plus rare, et donc de plus en plus prisée.
Plutôt que de parler de perfectionnisme, j’aimerais donc qu’on en revienne à la bonne vieille conscience professionnelle : en tant que professionnel, vous devez vous mettre à la place de votre client, faire preuve d’empathie donc, et le traiter comme vous aimeriez vous-même être traité à sa place. Rappelez-vous des pancartes qu’on trouve parfois dans les toilettes : « Merci de laisser cet endroit aussi propre que vous aimeriez le trouver en entrant ». Lorsque vous lisez ce message, vous vous doutez bien qu’on ne vous demande pas pour autant de briquer toutes les surfaces à la Javel. De la même manière, il vous faut doser votre niveau de service par rapport aux attentes de vos clients : et pour cela, il faut avoir défini votre positionnement de manière claire pour savoir quel est le niveau d’exigence de votre clientèle. Vos prix devront bien sûr être adaptés en conséquence.
Concrètement, je vous invite ici, une fois votre positionnement clarifié, à vous mettre à la place de vos clients et à lister leurs attentes principales par ordre de priorité. Par exemple :
1/ Que l’ourlet réalisé soit soigné : placé au bon endroit, symétrique entre les deux jambes, dans la bonne couleur de fil, solide…
2/ Que la prestation soit réalisée dans les délais : annonce du délai au moment du dépôt du vêtement, appel du client en cas de retard (penser à prendre le numéro de téléphone au moment du dépôt et à mettre en place un processus d’alerte automatique si je n’ai pas traité la commande la veille de son échéance)
3/ Que l’effet de seuil en magasin soit positif : devanture et vitrine soignés, intérieur rangé et propre, vue sur l’entrée depuis l’atelier pour savoir quand un client entre et ne pas le faire attendre, respect des horaires d’ouverture affichés…
Et ainsi de suite.
C’est de cette manière que vous montrerez du respect envers vos clients et que vous gagnerez le leur. Ces attendus minimaux doivent devenir des réflexes et se situer au cœur de vos préoccupations : faites en sorte de ne pas déroger à ces principes. Si d’aventure cela arrivait, reconnaissez vos torts et corrigez le tir.
Restez également à l’écoute de vos clients, qui sauront exprimer leurs attentes s’ils se sentent écoutés. Vous pourrez alors ajuster vos pratiques pour mieux y répondre, dans une logique d’amélioration continue et de prise en compte des évolutions des besoins sur votre marché.
Enjeux majeurs
Le perfectionnisme reste également une vertu dans un autre contexte : celui des enjeux majeurs.
Imaginons que vous habitez un royaume dans lequel règne un roi. Vous êtes un menuisier expérimenté. Un jour, un messager du roi entre pour la première fois dans votre atelier et vous demande si vous pourriez fabriquer le berceau de la princesse qui naîtra bientôt. Très bientôt. La commande doit être livrée au palais dans 15 jours exactement. Plus tôt si la naissance a lieu dans l’intervalle.
Vous savez que le palais travaillait jusqu’ici avec un autre menuisier du royaume et qu’il lui est resté fidèle jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite l’an dernier. Cela a fait de lui le menuisier le plus célèbre du royaume, mais aussi le plus reconnu, car il a fabriqué des pièces d’exception, reconnues pour leur grande finesse et des détails exquis. Vous mesurez donc l’enjeu potentiel : devenir le nouveau menuisier attitré du palais.
Dans la pratique habituelle de votre métier, vos clients vous demandent des meubles avant tout fonctionnels et s’attachent assez peu à leur esthétique. Ils veulent du robuste et du pas trop cher. Cela vous frustre depuis des années, alors vous sculptez de temps à autre une fleur ou un oiseau sur une commode, pour le plaisir.
Aujourd’hui, une immense opportunité s’offre enfin à vous, mais vous êtes face à un problème inextricable : le berceau se doit d’être richement ornementé, mais vous ne savez même pas de combien de temps vous disposez pour réaliser la pièce.
La meilleure stratégie consiste alors à tout donner, mais dans le bon ordre : vous préparez la structure, pour qu’elle soit sûre et intelligemment conçue, avec des pieds qui permettront de bercer l’enfant. Vous dégrossissez les surfaces pour vous assurer que le berceau sera prêt en quelques heures si le messager revient en avance. Puis, vous commencez par les ornementations essentielles : le blason royal sur la tête de lit, l’emplacement pour écrire le prénom de la princesse quand il sera connu (cette astuce vous permettra de justifier les quelques heures dont vous aurez besoin pour effectuer la livraison) ; ensuite, vous vous attachez aux détails sur le reste de la structure, commençant par des motifs structurants sur l’ensemble, avant de revenir sur chaque détail si on vous en laisse le temps.
Peu importe si finalement le messager revient après 3 jours ou 15 : vous aurez utilisé au mieux le temps qui vous est donné et vous serez en mesure de respecter votre engagement, avec un niveau de finitions plus ou moins abouti, ce que même la famille royale pourra comprendre.
Dans la vraie vie, même en cas d’enjeu majeur, nous avons souvent une échéance précise, ce qui facilite les choses : considérez le temps dont vous disposez d’ici-là (en tenant évidemment compte de vos autres engagements, tant privés que professionnels), et mettez en place la stratégie qui vous permettra d’atteindre le niveau d’excellence le plus élevé possible. Ainsi, vous mettrez toutes les chances de votre côté de remplir cette mission avec succès et de bénéficier des fruits qui découleront de cet enjeu majeur.
Reste à correctement différencier un enjeu majeur d’un enjeu… ordinaire : considérez toutes les retombées possibles de l’opportunité qui s’offre à vous et confrontez-les à votre vision et à vos objectifs. Plus d’éléments seront en phase et plus l’enjeu sera élevé.
Mesure, sens & durabilité
Le perfectionnisme, lorsqu’il est correctement dosé, à la vertu immense de donner du sens à votre travail : le sentiment de satisfaction qu’il procure permet de se respecter soi-même et de respecter son métier. Il est un puissant moteur et renouvelle votre énergie, jour après jour.
Viser des objectifs élevés est un challenge et peut clairement vous différencier de vos concurrents. Pour autant, il faut pour cela vous assurer :
– que vous êtes capable d’atteindre ces objectifs et de les maintenir dans la durée
– qu’il existe un modèle économique viable en face de ce niveau de qualité
– que cela répond à de véritables attentes de vos clients et qu’ils sont prêts à payer pour cela
Dans le cas contraire, vous saborderez votre entreprise, soit en développant une insatisfaction chronique qui minera votre moral (« ce que je fais n’est pas assez bien »), soit en conduisant à un épuisement qui vous obligera à cesser purement et simplement votre activité (« je n’en peux plus »), soit en vous menant à la faillite (« je ne m’arrête jamais et pourtant, je perds de l’argent »). On en revient au fameux curseur.
Conclusion
Vous l’aurez peut-être remarqué, être perfectionniste est un mot en « -iste », suffixe qui incarne ici l’excès, la radicalité. Je vous invite donc à changer de boussole, à vous défaire de cette soi-disant qualité pour lui préférer la conscience professionnelle et la cohérence.
Si vous proposez une offre à un certain prix et que vous mettez en œuvre un parcours client aligné avec votre promesse, sans excès, sans déception, cela génèrera de la satisfaction à tous et incarnera votre professionnalisme.
C’est aussi simple que ça : votre entreprise se construira alors une solide réputation et vous pérenniserez votre activité, en toute sérénité.
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